De passage en Bulgarie, j’ai fait une halte très importante pour moi. Me recueillir sur la tombe d’une amie décédée il y a 5 ans suite à un cancer. Son fils autiste a été recueilli par sa grand-mère, une femme formidable de 85 ans, qui prend désormais soin de lui toute seule. Ils vivent dans une seule pièce dans un immeuble de la ville de Shumen, au nord de la Bulgarie. Leila vient de perdre son mari après 65 ans de vie commune “sans le moindre nuage”. 
 
Dana a beaucoup compté dans ma vie et pourtant, je ne l’ai rencontré qu’une seule fois! C’était il y a 25 ans, lorsque j’avais été mandatée par une ONG française pour tourner un documentaire sur un orphelinat. Depuis, elle m’avait écrit chaque année, pendant 20 ans. Pendant 20 ans, elle m’a témoigné de son amitié fidèle par correspondances. Jamais elle ne s’est lassée ou découragée parce que nous n’arrivions jamais à nous rendre visite, chacune de nous deux trop absorbée par nos activités et par notre vie de famille.
 
Sur sa tombe, j’y ai déposé une gerbe de fleurs, une bougie et une petite lampe solaire de Joy for the Planet.Pour illuminer son médaillon et sa pierre, de nuit comme de jour. En me recueillant devant son portrait, j’ai compris que la fréquence des rencontres entre amis n’a rien à voir avec la profondeur de leur relation. Sa correspondance fidèle et la patience avec laquelle Dana a gardé le contact avec moi a consolidé notre amitié comme si nous nous voyions régulièrement! J’ai souhaité ainsi la remercier de la joie qu’elle m’avait offerte par une amitié sans attentes, sans conditions et sans regrets. 20 ans à s’écrire sans se voir. Et c’est Dana qui prenait toujours l’initiative de renouveler nos nouvelles. Moi, je ne faisais que répondre à ses lettres. Tout le mérite lui revenait…
 
Et puis le 22 novembre 2013, elle est partie en six mois. J’ai appris son décès par sa collègue de travail, Severina, que Dana avait chargée de m’informer, se sachant condamnée. Elle était devenue trop faible pour m’écrire. Je m’étais toujours promise de revenir un jour en Bulgarie pour lui rendre hommage et apporter un peu de joie à ceux qui, parmi ses proches, comptaient beaucoup pour elle: sa mère Leila et son fils Nicki.
 
Grâce à Severina, nous avons passé une soirée inoubliable. Je leur ai apporté une pizza tellement grande qu’elle ne passait ni la porte de l’immeuble, ni celle de la porte d’entrée de la grand-mère, ni celle de sa cuisine! On a du la plier en deux, comme nous, pliés de rires!  Leila était tellement heureuse et sur-excitée de nous voir que j’ai cru qu’elle allait nous faire une crise cardiaque! Elle s’agitait et sautillait comme un chiot qui retrouve son maître après de longs jours d’absence. Leila courait dans tous les sens en levant les bras au ciel, en embrassant ses icônes accrochées au mur et en remerciant le Bon Dieu d’avoir envoyé cette “amie de Suisse si chère à sa fille”… Sa joie était si débordante qu’elle m’en a donné le tournis! Même son petit-fils a fini par lui dire: “Mais calmes-toi grand-mère!” J’ai ri, j’ai pleuré et j’ai encore ri de la voir si réceptive et touchée par ma visite! 
Je suis venue avec une lampe pour leur offrir une petite joie “qui dure” par la lumière du soleil et par celle, plus symbolique, de Dana. Je leur ai aussi remis une boite de chocolats suisses et un sac Joy for the Planet. Et moi, je suis repartie avec une vingtaine de napperons crochetés et brodés par Leila elle-même, un tablier de cuisine, une assiette bénie par le prêtre de la cérémonie funéraire de Dana et une corbeille de raisins. Si elle avait pu me donner son appartement, elle l’aurait fait ! Bref, nous avons pleuré de joie dans les bras l’une de l’autre! De nous deux, je ne sais finalement plus laquelle a le plus donné ou reçu! 
Puis Leila et Nicki m’ont raccompagnée à mon bus. J’en ai profité pour le leur faire visiter. La grand-mère de Dana était très inquiète de me savoir dormir toutes les nuits seules à bord de Begoodee. Je l’ai rassurée en lui disant que je n’avais jamais eu à m’inquiéter en 9 mois de route… Elle m’a encore serrée contre sa poitrine, a dessiné des signes de croix sur mon front comme sur mon bus puis ils sont repartis, main dans la  main, grand-mère et petit-fils deux fois plus haut qu’elle…
Pour sa grande bonté, sa modestie et son dévouement totale à son petit-fils autiste, pour prendre soin de lui à 85 ans et être restée un incroyable rayon de soleil pour ses voisins, son entourage et sa famille, malgré les épreuves, Leila est notre 40ème Nominée de la Joie.

Cette pizza était tellement énorme que l’adorable grand-mère n’a pas réussi à passer la porte de sa cuisine avec! Nous avons du plier le carton en deux! Tous morts de rire!

Quel grand moment d’émotion de revenir en Bulgarie 25 ans après ma rencontre avec Dana que je n’ai jamais revu depuis… En me recueillant sur sa tombe, j’ai compris que la fréquence des rencontres entre amis n’a rien à voir avec la profondeur de leur relation. Sa correspondance fidèle et la patience avec laquelle Dana a gardé le contact avec moi a consolidé une amitié comme si nous nous voyions régulièrement! “‘C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui rend ta rose si importante” nous dit Le Petit Prince. C’est le temps que Dana a passé à m’écrire au moins deux à trois fois par an qui me l’a rendue si proche…

J’ai déposé ce bouquet de tulipes artificielles pour qu’un peu de couleurs puisse continuer à trancher pour un “bout de temps” avec le gris des stèles.

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