J’ai quitté la Macédoine pour l’Albanie. La seule image que j’avais de ce pays était celle de la vision réductrice des médias qui n’était pas très positive. A cela, s’ajoutait mon expérience comme déléguée du CICR à la frontière, au Kosovo, en 1999, encore dans les décombres de la guerre. Grâce à trois Albanais engagés que j’ai connus grâce à un ami de Joy for the Planet, j’ai réalisé une fois de plus que les véritables frontières ne se définissaient pas par la géographie ni par les généralités mais par la bonté en chacun. J’y donc ai rencontré Irena et Gjin Progni que l’engagements, les valeurs et la passion font honneur à leur pays.
Irena est née musulmane. Avant de rencontrer Gin, son futur époux chrétien, elle s’est convertie au christianisme, non pas parce que c’est une religion meilleure qu’une autre, mais pour être en accord avec ses valeurs et ses croyances personnelles. Pour cet acte de courage et de fidélité à elle-même, elle est devenue notre 42ème Nominée de la Joie. Dans certaines régions du monde, la conversion religieuse est encore un crime, parfois punissable de mort. En Albanie, toutes les religions se côtoient harmonieusement et il n’est pas rare de trouver une mosquée en face d’une église, avec à proximité un lieu de culte orthodoxe. Tirana et Shkodra, entre autres, en sont de parfaits exemples. Les albanais sont l’un des peuples les moins pratiquants au monde, plaçant leur patriotisme avant leur religion.
Dans le but de sauver les valeurs et la cultures de son pays, Gin, son mari, quand à lui, a été à la tête du mouvement étudiant de libération de l’Albanie du régime communiste. Pour rappel, le communisme était le régime politique en vigueur en Albanie après la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à la chute des régimes communistes en Europe. Cet homme a orienté toute sa vie vers la paix, le respect de l’autre et des traditions locales. Pour sa sagesse, il a même été choisi comme conciliateur il y a quelques années dans un cas de droit coutumier, appelé Kanun, un code de conduite local très élaboré et très ancien qui avait permis à la société albanaise de trouver son équilibre lorsque les institutions politiques et légales faisaient défaut. Le Kanun fixe toutes les lois, les interdictions, les devoirs, les sanctions et les codes de comportement, tels qu’ils ont été en vigueur durant des siècles en tant qu’instrument et cadre d’organisation sociale. Ce droit coutumier très actif avant la mise en place d’un appareil judiciaire national international contemporain, autorisait notamment la réparation d’un meurtre commis dans une famille par l’assassinat du meurtrier. Ce qui pouvait semer la terreur dans la famille de l’assassin pendant des années, voire même 60 ans, comme ce fut le cas que Gin a du traiter. Il a permis à deux familles de se réconcilier 60 ans plus tard et de renoncer à se venger par le sang. Malheureusement, cet héritage de la vengeance n’a pas complètement disparu de la société albanaise mais des êtres comme Gin et Irena contribuent à faire changer les mentalités. Au lieu de penser à faire du mal ou à dénigrer ceux qui « ont fait du mal », les nouvelles générations comprennent que le bien fait disparaître le mal et les souffrances du passé.
Côté paysages, l’Albanie est très belle et peu touristique ! Cela ressemble étrangement à la Suisse. Le plus insolite sont ces bunkers qui parsèment le pays. Ces constructions sont plus de 700 000 sur l’ensemble des terres, réalisées entre la fin des années 1960 et la fin des années 1980 par Henver Hoxha, le leader politique du pays jusqu’en 1985, qui avait lancé cette campagne de « bunkérisation » au détriment de l’économie nationale. De nos jours, ces immenses champignons décorent le paysage albanais, et certains sont recyclés en habitations ou en commerces.
Enfin, peu d’entre nous savent que la production électrique albanaise est la plus propre d’Europe! L’Albanie est l’un des 7 pays au monde à être 100% renouvelables grâce notamment aux barrages hydroélectriques et à l’énergie solaire.
Irena et Gin m’ont invitée dans leur petit paradis, un bout de terre en dehors de Tirana où ils ont planté quelques arbres fruitiers. Ils ont besoin de ce contact avec la terre pour se sentir proche d’elle et vivre avec authenticité et simplicité. Irena fait 4 heures de route (aller-retour) tous les jours pour se rendre à son travail! “Quand vous n’êtes pas recommandé par quelqu’un de bien placé au gouvernement ou si vous n’êtes pas du même parti que celui qui est au pouvoir, il est très difficile de trouver un bon travail à Tirana” regrette Irena.
Mais pour Irena et pour Gin, la paix et la joie se tissent dans la fidélité à leurs valeurs, quelques soient les grandes autoroutes de la pensée. Une loyauté qui les épuisent parfois, poussés à travailler loin de la capitale.
Juste avant de nous séparer, ils m’ont présentée à leur amie Luljeta Dano qui collectionne plus de 800 pièces de robes et de vêtements traditionnels du folklore albanais dont les plus anciens remontent à 150 ans. Elle m’ouvre ses armoires bondées de trésors et je dois déjà repartir pour prendre mon bateau pour l’Italie.
Merci à Irena, Djin et Luljeta de m’avoir ouvert quelques heures les portes d’une Albanie qui n’a jamais déclaré la guerre à personne, celle qui se range parmi l’un des 7 pays au monde à être 100% autonome grâce à des énergies renouvelables et celle où selon le Kanun, la valeur d’une femme vaut la vie de deux hommes! Pas mal non? 😉
Merci chère amie pour ce bon reportage sur l’Albanie, cette inconnue!et bravo à ce pays à l’énergie électrique entièrement renouvelable. je n’aurais jamais imaginé cela…